Évolution du droit administratif relatif au droit et à la réglementation de l’énergie en 2019

INTRODUCTION

Jusqu’à la mi-décembre 2019, l’année avait été exceptionnellement calme en ce qui a trait aux jugements importants en droit administratif, en particulier ceux de la Cour suprême du Canada. Cependant, tout cela a changé le 19 décembre lorsque la Cour suprême a rendu ses arrêts tant attendus dans les affaires Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov1 (Vavilov), et Bell Canada c Canada (Procureur général)2 (Bell). Il s’agit d’affaires où, en accordant l’autorisation de faire appel, la Cour suprême a invité les parties à réexaminer l’affaire Dunsmuir c Nouveau-Brunswick3(Dunsmuir), en particulier en ce qui concerne la norme que les tribunaux doivent appliquer en matière de contrôle judiciaire des mesures administratives4. Le lendemain, la Cour suprême a rendu un autre jugement, Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs postaux5, dans lequel la Cour a appliqué la nouvelle norme de contrôle découlant de l’affaire Vavilov.

Ce nouveau modèle revêt une importance particulière non seulement pour les tribunaux inférieurs, mais aussi pour les organismes de réglementation de l’énergie travaillant en première ligne. Je consacrerai donc la majeure partie de mon temps dans ce bilan annuel à une discussion sur les normes de contrôle modifiées et leur impact probable sur le déroulement des procédures réglementaires ainsi que sur l’examen judiciaire ultérieur des décisions découlant de ces procédures. Par la suite, j’aborderai les questions de réparation relatives au droit et à la réglementation de l’énergie traitées par la Cour suprême du Canada en 2019. Enfin, j’aborderai trois questions découlant du litige relatif au pipeline Trans Mountain, dont deux sont touchées par l’arrêt rendu le 4 février 2020 par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Coldwater Indian Band c Canada (Procureur général)6, que je vais évoquer brièvement.

LE REMODELAGE DES NORMES DE CONTRÔLE

A) INTRODUCTION

Depuis des décennies, la question des normes de contrôle a jeté une ombre exceptionnellement longue sur le droit canadien du contrôle judiciaire des décisions administratives. Trouver le bon équilibre entre les rôles des décideurs administratifs en tant qu’instruments de gouvernance désignés par la loi, d’une part, et les tribunaux en tant que protecteurs de l’État de droit et organismes de responsabilisation, d’autre part, s’est avéré très problématique. Le moins que l’on puisse dire, c’est que le réexamen sérieux de cette question dans Dunsmuir avait pour la plupart des tribunaux inférieurs, des avocats, des décideurs administratifs eux-mêmes, et des observateurs et commentateurs, été incomplet et imparfait dans certaines de ses directives. Maintenant, les personnes impliquées dans le droit administratif canadien ont une autre directive à laquelle s’attaquer. Il reste à voir si cette directive sera plus efficace que la précédente. Et par efficace, j’entends la réalisation d’au moins deux objectifs : premièrement, la conciliation de la tension entre le choix de l’instrument législatif et l’État de droit et, deuxièmement, la réduction du temps consacré à la norme de contrôle dans le traitement des demandes de contrôle judiciaire et des recours légaux devant les tribunaux contre des décisions administratives (y compris l’inaction).

Dans le cas de la législation et la réglementation en matière d’énergie, l’affaire Vavilov pourrait sembler peu probable pour élaborer une directive généralisée pour la sélection et l’application de la norme de contrôle appropriée. Il s’agissait d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de révoquer un certificat de citoyenneté canadienne du fils né au Canada d’espions russes, une décision qui reposait sur l’interprétation des dispositions de la Loi sur la citoyenneté7. Pour sa part, l’affaire Bell8 concernait un organisme de réglementation d’intérêt public et des questions plus proches des régimes de réglementation de l’énergie, bien qu’encore quelque peu éloignées : une ordonnance et une décision du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (« CRTC ») exemptant le Super Bowl d’une ordonnance exigeant la substitution simultanée de publicités américaines par des publicités canadiennes dans les émissions de télévision d’origine américaine. Contrairement à la situation dans l’affaire Vavilov, elle a été inscrite au rôle de la Cour d’appel fédérale par voie de recours en autorisation sur une question de droit et de compétence.

B) CHOIX DE LA NORME DE CONTRÔLE

I. DÉCISIONS SUSCEPTIBLES DE FAIRE L’OBJET D’UN APPEL PRÉVU PAR LA LOI

Dans les premiers commentaires sur le nouveau régime, et il y en a déjà eu beaucoup9, l’aspect le plus notable et le plus controversé de Vavilov, tel qu’appliqué simultanément dans l’affaire Bell, était la révision par la majorité de la sélection de la norme de contrôle judiciaire qui s’appliquait aux affaires portées devant les tribunaux par le biais d’un examen prévu par la loi, par opposition à une demande de contrôle judiciaire découlant de la common law ou d’une interprétation de la loi10. Désormais, sauf spécification législative contraire, les tribunaux qui entendent ces appels doivent appliquer le modèle de l’affaire Housen c Nikolaisen11, obligatoire pour les appels des tribunaux inférieurs en matière de droit civil. Pour les questions de droit pures et les questions de droit qui étaient facilement dissociables des questions mixtes de droit et de fait, la norme de contrôle devait être celle de la « décision correcte ». Pour les questions de fait et les questions mixtes de droit et de fait dont il n’est pas possible d’extraire facilement des questions de droit pures, la norme de contrôle serait celle de « l’erreur manifeste et dominante ».

Étant donné que la majorité des organismes de réglementation de l’énergie du Canada (comme le CRTC) sont situés dans un régime légal qui prévoit l’accès aux tribunaux pour leurs décisions et ordonnances par le biais d’un appel souvent uniquement sur autorisation et limité aux questions de droit et de compétence12, cela représente un changement très important. Je ne m’attarderai pas sur les mérites de ce changement; Nigel Bankes l’a déjà fait et de manière persuasive dans le blogue, Ablawg13. Le résultat, cependant, fait en sorte que l’on a retiré à la plupart des organismes de réglementation de l’énergie, une situation où, sur de pures questions de droit, leurs décisions avaient droit à une présomption significative de déférence envers le caractère raisonnable de l’interprétation de leur loi habilitante ou d’une loi étroitement liée. Si, après l’arrêt Vavilov, cette présomption est devenue encore plus forte dans le contexte de la common law et des demandes de contrôle judiciaire prévues par la loi, elle a cessé d’exister pour les organismes de réglementation de l’énergie dont l’accès aux tribunaux se fait par voie d’appel. Dans le cadre d’un appel, en l’absence de directives législatives précises, il n’y aura pas de déférence sur les questions de droit, mais seulement un contrôle de la « décision correcte ». Il est certain que dans les domaines des questions de fait ou des questions mixtes de fait et de droit, il peut n’y avoir aucune différence pratique entre le contrôle sur la base du caractère raisonnable (la norme antérieure) et le contrôle pour « erreur manifeste et dominante ». Toutefois, dans le domaine plus généralement important des questions de droit pur, le contrôle en fonction du critère de la décision correcte régnera désormais.

Cela a été souligné par le jugement majoritaire dans l’affaire Bell14. L’examen en appel de la décision et de l’ordonnance du CRTC a été effectué sur la base du bien-fondé de novo, sans se concentrer sur les motifs du CTRC ni sur d’autres aspects de l’examen du caractère raisonnable des mesures administratives. Il s’agissait d’un exercice standard d’interprétation de la loi.

Si on laisse de côté la question de savoir si ce nouveau régime d’appel prévu par la loi représente un changement sage ou de principe, il a au moins le mérite d’être simple en apparence. Il semble s’appliquer de lui-même au moins en ce qui concerne les recours portant sur des questions de droit pur. La question a été retirée du domaine de l’évaluation contextuelle et, en particulier, celle de savoir si, en tant qu’élément de la liste des considérations contextuelles de Dunsmuir, un droit d’appel particulier pourrait être un facteur pertinent ou décisif pour s’écarter de la présomption antérieure de décision correcte pour de pures questions d’interprétation législative. Dorénavant, la norme sera invariablement celle de la décision correcte.

Toutefois, cela ne signifie pas que l’appropriation des normes de contrôle en appel découlant de Housen se fera sans problème. Nigel Bankes a identifié quelques problèmes15. Un problème en particulier mérite d’être examiné dans ce contexte. Dans la plupart des cas, les recours des organismes de réglementation de l’énergie devant les tribunaux se limitent à des questions de droit ou de compétence. Dans le contexte des demandes de contrôle judiciaire, la décision dans Vavilov (prise à l’unanimité) a supprimé la notion de compétence de la rubrique de sélection des normes de contrôle16. Celle-ci ne fera plus partie des catégories de questions qui conduisent à la réfutation de la présomption du caractère raisonnable de la décision. Cela soulève la question de ce qui se passe une fois que la « compétence » a été exclue en tant que motif d’appel ou, en fait, en tant que motif de contrôle judiciaire lorsque la possibilité de s’en remettre à ce contrôle est explicitement énoncée, comme c’est le cas à l’alinéa 18.1(4)a) de la Loi sur les cours fédérales17.

En effet, dans l’affaire Bell, la majorité, malgré son rejet dans l’affaire Vavilov de la compétence comme concept inapplicable, semblait parfaitement à l’aise pour considérer la question cruciale de l’interprétation dans cette affaire comme « concernent directement les limites du pouvoir conféré par la loi au CRTC18 ».

Cela semble être une véritable définition de la question de compétence, et cela est encore souligné plus tard par la référence de la majorité « au principal argument des appelantes relativement à la question de la compétence19 » ainsi qu’à la question de « l’étendue du pouvoir20 ».

Même en admettant l’ironie de la décision apparemment facile de la majorité relative à la vérification de la compétence dans le cadre d’un appel, cela pourrait à première vue sembler être une question qui se règle aisément. En fin de compte, étant donné le droit de recours sur de pures questions de droit, il importe peu que la cour d’appel traite la question comme une question de droit ou de compétence. La norme appliquée, celle de la décision correcte, sera de toute façon la même. Toutefois, traditionnellement, les questions de compétence ne sont pas toujours de pures questions de droit. Elles pourraient bien être fondées sur des faits ou impliquer des questions de droit et de fait inextricablement mêlées. Si ces questions « de compétence » se posent à l’avenir dans le cadre d’un recours légal, Housen prévaudra-t-il et dictera-t-il l’application du critère de « l’erreur manifeste et dominante » ou sera-t-il supplanté par le principe de Dunsmuir selon lequel les « vraies » questions de compétence doivent être déterminées suivant le critère de la décision correcte21?

II. DÉCISIONS FAISANT L’OBJET DE DEMANDES DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

En ce qui concerne les organismes de réglementation de l’énergie tels que la Commission de l’énergie et des services publics du NouveauBrunswick22 et le gouverneur en conseil en tant que décideur final sur les demandes de certificats à l’égard de pipelines en vertu de l’article 186(1) de la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, étant donné qu’il est expressément indiqué que leurs décisions peuvent être révisées par voie de contrôle judiciaire23, et non d’appel prévu par la loi, c’est le contrôle judiciaire de l’affaire Vavilov, et non la reconfiguration de l’appel, qui s’applique.

Qu’est-ce que cela implique? Premièrement, toutes leurs décisions profitent d’une présomption favorable quant à leur caractère raisonnable24. Deuxièmement, les quatre facteurs contextuels qui auraient pu être utilisés auparavant pour réfuter cette présomption (et, en particulier, les considérations d’expertise comparative) n’ont plus cours25. Troisièmement, la réfutation de la présomption favorable est désormais liée à trois des quatre catégories de bienfondé automatique de Dunsmuir — les questions constitutionnelles, les confrontations ou les compétences concurrentes, et les questions d’importance fondamentale pour le système juridique dans son ensemble26.

Comme nous l’avons déjà indiqué, la compétence a été supprimée des quatre catégories initiales. De même, la catégorie « importance fondamentale » a été modifiée en excluant la qualification selon laquelle la question doit également dépasser l’expertise du décideur administratif; indépendamment de l’expertise, un examen du bienfondé est requis. Il reste cependant à déterminer si ces trois catégories sont protégées par la Constitution. En d’autres termes, si la majorité reconnaît également que la norme de contrôle peut être modifiée et que la présomption générale de raisonnabilité peut être écartée par voie législative, il n’est pas certain que cela soit vrai pour les trois catégories de bienfondé.

Ces doutes mis à part, ici aussi, la sélection des normes de contrôle a été simplifiée. De plus, étant donné la relative rareté des décisions qui font intervenir les trois catégories de bienfondé exceptionnelles, le caractère raisonnable sera désormais la norme presque invariable en common law ou en contrôle judiciaire prévu par la loi (par opposition à l’appel), que la question en soit une de droit, mixte de droit et de fait ou uniquement de fait. Les partisans de la déférence s’en consoleront certainement.

C) APPLICATION DE LA NORME D’EXAMEN DU CARACTÈRE RAISONNABLE

I. UN ENGAGEMENT GÉNÉRAL ENVERS LA DÉFÉRENCE?

Toutefois, c’est dans le deuxième élément de l’arrêt majoritaire Vavilov que des problèmes peuvent se poser. Comment reconnaître une décision qui n’est pas raisonnable? Dans quelle mesure les juges de la majorité sont-ils attachés à la déférence en tant que principe déterminant dans l’arrêt Vavilov?

À un certain niveau, malgré le fait que le contrôle judiciaire soit séparé de l’examen prévu par la loi, la majorité semble vouloir pencher du côté de la déférence. Au stade de la sélection des normes de contrôle, il y a maintenant une forte affirmation d’une présomption de caractère raisonnable, indépendamment des motifs de décision et de la catégorie de décideur administratif. En outre, la dérogation à ce principe dans l’abandon de l’expertise comparative en tant que considération pertinente dans la catégorie de l’importance fondamentale exceptionnelle ne peut pas être le détracteur d’une présomption significative de déférence en faveur des décideurs administratifs, contre lequel la minorité s’élève27. En effet, la majorité s’efforce de souligner que les tribunaux inférieurs ne devraient pas considérer tout ceci comme une invitation à étendre la catégorie d’importance fondamentale audelà de ses limites actuelles, comme le reflète le nombre très limité de précédents28.

II. LA CENTRALITÉ DES MOTIFS

En ce qui concerne l’application de la norme du caractère raisonnable, la majorité insiste sur le fait que le point de départ, au moins pour les décideurs administratifs qui sont obligés de motiver leurs décisions et qui le font, doit être les motifs fournis29. Cela ne doit pas être précédé d’une évaluation judiciaire de la décision que la cour aurait prise si elle avait été le décideur, suivie d’une comparaison entre la vision préconçue de la cour par rapport à la décision appropriée ou correcte et celle fournie par le décideur. En outre, l’insistance de la majorité sur le fait que la charge d’établir le caractère déraisonnable d’une décision incombe à la partie qui conteste la décision30 renforce l’engagement en faveur d’un processus de révision qui est ancré dans un principe de déférence.

Tout en insistant sur l’importance des motifs et l’adhésion à l’appel de l’affaire Dunsmuir pour « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel31 », la majorité reconnaît néanmoins que les motifs des décideurs administratifs ne sont pas censés participer au caractère archivistique et formel attendu de la prise de décision judiciaire32. La majorité réitère également la proposition selon laquelle les décideurs administratifs ne sont pas censés couvrir chacun des arguments ou chacune des preuves présentées par les parties33. Dans ce contexte, la majorité est favorable, sous réserve de certaines contraintes, à la recherche d’éclaircissements dans des documents ne figurant pas dans le compte rendu officiel de l’audience, tels que les précédents et les informations factuelles de base en possession du décideur34. Quant aux décideurs qui ne sont pas tenus de donner des motifs, comme ceux qui sont chargés d’élaborer la législation subordonnée, l’histoire législative, y compris les échanges internes, peuvent fournir des substituts acceptables.35

De même, la majorité, ayant rejeté la prise en compte formelle de l’expertise comparative comme facteur dans le processus de sélection des normes de contrôle, reconnaît néanmoins que l’expertise, telle qu’elle est attestée par la nature ou la qualité des motifs fournis, justifie la mesure dans laquelle les tribunaux d’appel devraient faire preuve de déférence36. Cela aussi indique un fort niveau d’engagement en faveur du principe de déférence.

Il est certain que les décideurs administratifs ont perdu une possibilité de résister au contrôle judiciaire en raison de l’insistance de la majorité sur le fait que leurs décisions doivent être justifiées plutôt que justifiables37, et de la proposition selon laquelle les décisions ne devraient généralement pas être maintenues comme raisonnables simplement sur la base de leur résultat. Toutefois, il est difficile de considérer cela comme une dilution de l’engagement à faire preuve de déférence lors d’un contrôle judiciaire. Cela représente une contrainte légitime sur la mesure dans laquelle il peut y avoir des motifs rétroactifs à l’appui des conclusions auxquelles on est parvenu. La déférence perd simplement de sa force de persuasion lorsque le raisonnement et les processus d’un décideur administratif ne fournissent aucune base permettant de déterminer pourquoi le décideur a pris la décision qu’il a prise. Plus généralement, il n’y a pas non plus de raison de s’opposer à l’insistance de la majorité pour que le décideur administratif fournisse une justification logique ou rationnelle pour appuyer ses conclusions38.

III. CONSIDÉRATIONS CONTEXTUELLES

Cependant, certains aspects du jugement de la majorité en matière « d’examen du caractère raisonnable » peuvent être interprétés par les juridictions inférieures comme annonçant l’arrivée d’une forme plus « rigoureu[se]39 » (terme utilisé par la majorité) de contrôle judiciaire dans le sens d’un contrôle qui impose un éventail varié de contraintes aux décideurs administratifs dans la prise de leurs décisions.

Bien que la Cour rejette le déploiement des facteurs contextuels établis de longue date dans l’établissement de la norme de contrôle appropriée, la majorité est fermement attachée à une approche contextuelle dans l’établissement des paramètres d’une norme appropriée de caractère raisonnable. Ils réitèrent le mantra post-Dunsmuir selon lequel le caractère raisonnable est une norme unique qui « s’adapte au contexte »40. Ce qui est exigé des décideurs administratifs, c’est qu’ils tirent des conclusions et adoptent des solutions qui prennent en compte les « contraintes d’ordre contextuel »41 découlant du « des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen ».42 Quelles sont ces contraintes contextuelles et dans quelle mesure peuvent-elles aider et favoriser un recul par rapport à un examen misant véritablement sur la déférence?

Lorsque la majorité a élaboré les exigences d’une obligation de fournir des motifs, comme nous l’avons déjà noté, elle a réintégré l’expertise parmi les points à considérer. L’expertise démontrée par les motifs fournis est un facteur à prendre en compte dans l’évaluation de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité des motifs et du résultat43. Bien que la majorité ne le dise pas explicitement, à l’inverse, des raisons qui ne relèvent d’aucune expertise particulière ou limitée pourraient à l’avenir, pour certains juges, justifier un examen plus approfondi pour revoir le caractère raisonnable des motifs et du résultat.

Par la suite, la majorité identifie deux « lacunes fondamentales »44 qui rendent une décision déraisonnable. L’une d’entre elles, qui ne peut être remise en question en termes généraux, est  le manque « [d’]un raisonnement intrinsèquement cohérent »45. En développant ce concept, la majorité utilise cependant une terminologie qui pourrait trop facilement attirer l’attention de juges à l’esprit interventionniste. Par exemple, l’affirmation selon laquelle une décision est déraisonnable lorsque « la conclusion tirée ne peut prendre sa source dans l’analyse effectuée »46 peut inciter à examiner de près le bien-fondé du raisonnement du décideur et conduire en fait à un contrôle sous l’angle de la « décision correcte ».

Une situation est toutefois plus significative que les deux exemples que nous venons d’évoquer. Il s’agit de l’élaboration par la majorité de la deuxième « lacune fondamentale »; l’exigence selon laquelle la décision doit être prise en prenant en compte les « contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur la décision »47. Dans ce contexte, la majorité, comme ce fut le cas pour l’expertise, réintroduit en fait deux considérations désormais contextuelles qui ont été bannies du domaine de la sélection des normes de contrôle : les problèmes liés à la compétence et la prise de décision incohérente. Comme nous l’avons déjà vu, la majorité (soutenue par la minorité48) a supprimé les « véritables questions de compétence » en tant que catégorie qui remplace la présomption du caractère raisonnable49 d’une décision. Quant à la prise de décision incohérente, la Cour a refusé de l’ajouter comme motif autonome de réfutation des arguments présentés50.

Sous la rubrique « Le régime législatif applicable », la majorité revient sur le concept de compétence et réitère la disparition de la catégorie de questions touchant « véritablement à la compétence assujettie au contrôle selon la norme de la décision correcte »51. Toutefois, après avoir reconnu « qu’il y a lieu de faire preuve de déférence envers l’interprétation que donne le décideur du pouvoir que lui confère la loi »52, ils poursuivent en affirmant que

[…] Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable ne permet pas au décideur administratif de s’arroger des pouvoirs que le législateur n’a jamais voulu lui conférer. De la même manière, un organisme administratif ne saurait exercer un pouvoir qui ne lui a pas été délégué53.

De manière convaincante, la minorité indique que cela annonce la réintroduction de « l’erreur de compétence »54 dans le concept de caractère raisonnable, et la simple affirmation de la majorité selon laquelle ce n’est pas le cas55 sonne très creux en effet.

Dans ce qui suit sous cette rubrique, il y a également une autre invitation potentielle à un examen intrusif, bien que sous la rubrique « caractère raisonnable ». Il n’est pas surprenant que la majorité se réfère à la sagesse acceptée selon laquelle certaines questions législatives n’admettent qu’une seule interprétation56. En effet, la proposition générale ne peut être remise en question. Toutefois, le problème réside dans l’identification des circonstances qui justifient une telle conclusion avec les dangers pour la déférence clairement indiqués par une récente déclaration d’un juge de la Cour d’appel fédérale selon laquelle la grande majorité des questions d’interprétation législative n’admettent qu’une seule interprétation57.

Plus généralement encore, sous la rubrique « Les principes d’interprétation législative »58, la majorité insiste pour que les décideurs administratifs respectent le principe moderne en matière d’interprétation des lois :

Or, quelle que soit la forme que prend l’opération d’interprétation d’une disposition législative, le fond de l’interprétation de celle-ci par le décideur administratif doit être conforme à son texte, à son contexte et à son objet59.

Cela aussi invite à ce qui est en fait un examen des questions d’interprétation législative en fonction de la « décision correcte », bien que sous le couvert de son caractère raisonnable. Il est tout simplement trop facile de classer une décision sur une question d’interprétation d’une disposition avec laquelle le juge de révision est en désaccord comme étant fondée sur une lecture incorrecte du « texte, du contexte et de l’objet de cette disposition ».

Il y a d’autres éléments de la discussion de la majorité sur la nécessité pour les décideurs administratifs d’opérer dans le cadre des « contraintes juridiques et factuelles qui entourent la prise de la décision » qui peuvent donner à penser que l’on élargit les possibilités d’intervention tout en diminuant l’engagement en faveur d’un examen véritablement déférent60. Toutefois, permettez-moi de conclure cette discussion en faisant référence à la cohérence en tant que facteur contextuel. Dans le présent contexte, la majorité traite de la cohérence en mentionnant les cas où « [les] interprétations juridiques [sont] constamment discordantes ou contradictoires dans les décisions d’un organisme administratif »61 et ceux où le décideur « s’écarte d’une pratique de longue date ou d’une jurisprudence interne constante »62. Si la majorité n’est pas du tout claire quant à la réponse judiciaire appropriée à la première question63, elle est un peu plus précise en ce qui concerne la seconde : le décideur doit expliquer les raisons de l’écart entre sa décision et les pratiques de longue date; si le décideur ne s’acquitte pas de ce fardeau, la décision est déraisonnable64. Je n’ai aucun problème avec une telle directive, sauf que la majorité n’explique pas ce qu’elle veut dire précisément en exigeant que les écarts entre les décisions et les pratiques de longue date soient justifiés. Suffit-il que le décideur ait fourni une explication crédible de son incapacité à suivre le précédent, préservant ainsi un élément de déférence, ou cela signifie-t-il que la cour de révision doit examiner la justification sur la base du critère de la « décision correcte »?

IV. CONCLUSIONS

Dans son élaboration de la manière dont les cours inférieures devraient procéder à l’examen du caractère raisonnable, la majorité inscrit certainement cet exercice dans le cadre d’un engagement global empreint de déférence. Toutefois, en acceptant que l’exercice soit toujours contextuel et en fournissant des exemples de certains des facteurs qui fourniront ce contexte, la majorité remet en question la proposition selon laquelle une approche contextuelle ne signifie pas un engagement à varier les normes ou l’intensité de l’examen du caractère raisonnable. Tout cet exercice repose sur le sentiment que différents scénarios impliquent différentes approches et que, sous l’étiquette de « caractère raisonnable », il existe désormais une série de possibilités qui vont de ce qui est en réalité un examen sous l’angle de la « décision correcte », jusqu’à un très haut niveau de déférence.

Outre le fait que la majorité rejette l’idée que le caractère raisonnable est une norme unique et invariable, cela soulève de sérieuses questions théoriques quant à la mesure dans laquelle, selon cette approche, le caractère raisonnable est surchargé en tant que concept. En outre, d’un point de vue pratique, l’élaboration des différents facteurs contextuels par la majorité contient des affirmations qui fournissent amplement de quoi alimenter une intervention judiciaire grandissante dans la prise de décision administrative, intervention qui ne conservera que peu, voire aucun élément de déférence. Il reste à voir si, en obtenant un meilleur consensus autour du choix du critère de contrôle, la majorité a simplement transféré les questions difficiles du critère de contrôle à la délimitation de ce que sont, dans n’importe quel contexte, les signes du caractère déraisonnable. Pour parler franchement, dans ce nouveau monde, la Cour a-t-elle donné aux sceptiques de la magistrature tous les outils dont ils ont besoin pour s’engager, de manière déguisée, dans un examen sous l’angle de la « décision correcte »?

Néanmoins, il faut dire que tant dans l’affaire Vavilov que dans l’affaire Postes Canada65 en particulier, la Cour suprême donne l’exemple. Dans chacun d’eux, au moins dans les jugements majoritaires, les motifs de la décision sont le point de départ du contrôle judiciaire. C’est en fonction de ces raisons que les considérations contextuelles sont évaluées. De plus, dans l’affaire Postes Canada, le juge Rowe, pour justifier l’annulation du jugement de la Cour d’appel fédérale66 et le rétablissement de la décision de l’agent d’appel, aborde la décision de cet agent avec une disposition qui respecte le processus de raisonnement figurant dans les motifs fournis67. Cela est très prometteur pour le maintien d’un contrôle judiciaire empreint de déférence, au moins dans les cas d’interprétation des lois qui sont portés devant les tribunaux par le biais d’une demande de contrôle judiciaire, par opposition à une révision prévue par la loi.

La contribution de Vavilov en tant que manuel sur les meilleures pratiques pour les décideurs administratifs dans la rédaction de leurs décisions est peut-être encore plus importante dans tout cet exercice de reconfiguration. Ce manuel devrait devenir une lecture obligatoire pour tous les décideurs administratifs et leur personnel (y compris les avocats). Non seulement il fournit un modèle pour la structuration des motifs, mais il informe également les décideurs administratifs sur l’éventail des considérations ou des facteurs contextuels qu’ils peuvent prendre en compte dans le cadre de leur mandat et des prémisses juridiques sous-jacentes.

RECOURS

A) INTRODUCTION

En 2019, la plupart des affaires de droit administratif de la Cour suprême, quantitativement limitées (au sens très large), concernaient des questions de recours68. En général, ces questions correctives n’avaient que peu ou pas de pertinence pour le travail des organismes de réglementation de l’énergie, comme l’illustre le sujet de ce qui était probablement le plus intéressant de ce groupe d’affaires sur le plan jurisprudentiel : Canada (Sécurité publique et protection civile) c Chhina69. Elle portait sur l’étendue de la compétence des cours supérieures provinciales en matière d’habeas corpus en ce qui concerne les détentions en vertu de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés70, et sur la question de savoir si les recours prévus par cette loi ou l’accès à un contrôle judiciaire en vertu de la Loi sur les Cours fédérales l’empêchaient, soit pour des raisons de compétence, soit pour des raisons de discrétion71. Comme il est évident, c’est une question qui est peu pertinente dans le contexte de la législation et de la réglementation sur l’énergie.

B) CONTESTATION INCIDENTE

À première vue, l’arrêt R c Bird72, qui concerne la possibilité d’une contestation incidente dans le cadre d’une poursuite en vertu du Code criminel73 pour violation d’une ordonnance de surveillance à long terme émise par la Commission nationale des libérations conditionnelles, semble tout aussi inattendu. Toutefois, dans la mesure où l’existence d’une contestation incidente d’une ordonnance émise par les agences et les fonctionnaires gouvernementaux dans le cadre d’une réglementation liée sur l’énergie est une question d’intérêt pertinente, un commentaire sur cet arrêt est justifié. Cette affaire a également des liens avec les questions de normes de contrôle élaborées dans Vavilov et, pour cette seule raison, mérite notre attention.

Au Canada, les principes relatifs aux contestations incidentes ont été établis en 1998 dans les affaires R c Consolidated-Maybrun Mines Ltd74 et R c Al Klippert Ltd75. En général, les contestations incidentes sont mal vues, à condition qu’il existe des possibilités adéquates de contestation directe contre la décision ou l’ordonnance concernée. Plus précisément, dans ces deux arrêts, la Cour a adopté une approche discrétionnaire à cinq critères76 pour déterminer si une contestation incidente devrait être autorisée.

Dans l’arrêt Bird, en ce qui concerne les critères consolidés de Maybrun, deux ont particulièrement mérité l’attention de la Cour suprême — la contestation de l’ordonnance était fondée sur l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés77, et la peine prévue par le Code criminel pour la violation d’une ordonnance de surveillance de longue durée était un emprisonnement pouvant aller jusqu’à dix ans. La Cour n’a pas été impressionnée par l’argument selon lequel il s’agissait d’une affaire concernant les droits de la Charte. Bird disposait de recours directs et adéquats pour contester l’ordonnance sur la base de la Charte78. En ce qui concerne la peine prévue par le Code pénal, la majorité de la Cour a considéré qu’il s’agissait de l’un des cinq critères qui jouaient en faveur de Bird79. Cela n’a toutefois pas suffi à compenser les quatre contre-indicateurs80. En particulier, le juge Moldaver, qui a rendu le jugement de la majorité, a estimé que les arguments découlant de la sévérité de la sanction l’emportaient sur l’importance de ne pas encourager une culture de « violation d’abord; contestation ensuite »81.

Étant donné que les arguments apparemment forts en faveur de l’autorisation des contestations incidentes ont échoué dans l’affaire Bird, il est difficile d’envisager de nombreuses circonstances dans lesquelles les tribunaux canadiens autoriseraient des contestations incidentes contre les ordonnances des organismes de réglementation et des responsables de l’énergie. Néanmoins, dans l’arène des contestations contre une législation subordonnée, il peut encore exister la possibilité que les défendeurs à une procédure d’exécution soient autorisés, sous certaines conditions, à soulever la question de la validité du règlement concerné. Après tout, dans l’affaire Consolidated-Maybrun82, la Cour s’est référée à ses précédents83 reconnaissant les contestations incidentes contre les règlements administratifs avec une approbation apparente et certainement sans les remettre explicitement en question et encore moins les annuler.

En effet, il peut y avoir des configurations factuelles qui rendraient approprié la contestation incidente dans le contexte d’une ordonnance réglementaire n’ayant jamais été contestée même si cette ordonnance réglementaire pouvait, au moment de son émission, faire l’objet d’un appel devant un tribunal. Dans ce contexte, cela pourrait bien soulever une question de norme de contrôle découlant de Vavilov. Dans le cadre d’une défense contre une procédure d’exécution, le critère de contrôle de la légalité de l’ordonnance serait-il celui de la « décision correcte » comme dans le cas du contrôle prévu par la loi ou l’ordonnance devraitelle être examinée dans le cadre de la présomption générale de raisonnabilité des décisions administratives? Comme l’a souligné Nigel Bankes84, c’est une question qui peut très bien se poser lorsqu’il existe à la fois des possibilités d’appel et de contrôle judiciaire pour contester la validité d’une décision administrative sur une pure question de droit.

C) REMETTRE OU NON LA PROCÉDURE

Souvent, lorsqu’un décideur administratif, par exemple, n’agit pas conformément aux règles de l’équité procédurale, la conséquence sera l’annulation de la décision finale et le retour de l’affaire au décideur (ou, dans certains cas, à un autre décideur) pour qu’il la reprenne, cette fois en suivant les règles de l’équité procédurale. Cependant, ce n’est pas un résultat invariable. Dans de nombreux cas, le demandeur d’un contrôle judiciaire (et surtout celui qui fait l’objet d’une procédure de sanction) voudra simplement que la décision soit annulée; une remise aux fins d’un réexamen est alors à éviter.

C’était en effet la situation dans Vavilov. Lorsque, sur une demande de contrôle judiciaire, la Cour d’appel fédérale et la Cour suprême du Canada85 ont toutes deux déterminé que l’agent d’appel avait interprété de manière déraisonnable la disposition pertinente de la Loi sur la citoyenneté et que le greffier n’avait pas cerné, comme options, d’autres bases sur lesquelles la citoyenneté de Vavilov devrait être révoquée, il n’y avait aucune raison de renvoyer l’affaire pour obtenir une nouvelle décision, conformément à la loi ou aux motifs du jugement de la cour de révision. Sur la question de l’interprétation de la loi, il n’y a eu qu’une seule conclusion raisonnable sur les faits de cette affaire. En outre, la citoyenneté canadienne de Vavilov avait en fait été rétablie par l’annulation de la révocation par la Cour. Il n’y avait plus rien à faire. Dans un tel cas, l’absence d’une ordonnance de remise pour réexamen de la question ne compromettrait en aucune façon l’autonomie décisionnelle du juge administratif.

Néanmoins, en tant que principe général, la Cour suprême a reconnu qu’au stade de la réparation, les cours de révision ne devraient pas se mettre à la place du décideur administratif de manière inappropriée. L’affaire Delta Air Lines Inc c Lukács86, sur laquelle j’ai fait des commentaires dans le cadre du bilan de 2017, en est une bonne illustration87. Dans cette affaire, la Cour suprême a déterminé que l’Office des transports du Canada avait commis une erreur de principe dans le critère qu’il a appliqué en refusant à Lukács le droit de déposer une plainte. Dans son opinion dissidente, la juge Abella, selon le jugement de la majorité rendu par la juge en chef McLachlin, avait soutenu le refus de la qualité de déposer une plainte comme étant raisonnable pour des raisons non abordées dans les motifs de l’Office88. Parmi les motifs invoqués par la juge en chef pour rejeter l’affirmation de la juge Abella concernant le résultat auquel est parvenu l’Office, figure le fait que cela aurait équivalu pour la Cour à « assumer le rôle de l’Office »89 de manière inappropriée en lui imposant un motif de refus de la qualité de déposer une plainte que l’Agence n’avait pas développé elle-même. Dans de tels cas, la disposition corrective appropriée consistait pour la Cour à renvoyer l’affaire pour réexamen conformément aux motifs de la Cour. Par la suite, il était loisible à l’Office, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire sur la détermination de la qualité pour déposer une plainte, d’évaluer s’il existait d’autres motifs légitimes pour lesquels elle devait refuser cette qualité à Lukács.

Par la suite, dans l’affaire Vavilov, la majorité a renforcé cette conclusion en se référant à Lukács90. Elle a précisé que, du moins dans le contexte des décideurs administratifs qui fournissent des motifs, il n’était généralement pas approprié pour les tribunaux de rejeter une demande de contrôle judiciaire au motif que, indépendamment des motifs fournis, le résultat lui-même pouvait être étayé par d’autres motifs non identifiés par le décideur. Sauf dans les situations où il n’y a qu’un seul résultat raisonnable et que ce n’est pas celui auquel est parvenu le décideur administratif, la mesure de réparation généralement appropriée est, comme dans l’affaire Lukács, la remise au décideur administratif pour réexamen.

Néanmoins, la majorité a reconnu qu’il pouvait y avoir des circonstances exceptionnelles dans lesquelles une remise serait inappropriée étant donné

[…] les préoccupations liées à la bonne administration du système de justice, à la nécessité d’assurer l’accès à la justice et à la « volonté de mettre sur pied un processus décisionnel à la fois rapide et économique qui préside souvant au départ à la création d’un tribunal administratif spécialisé »91.

Parmi les situations identifiées par la majorité, on trouve les cas où « un résultat donné est inévitable »92 et où la remise au décideur administratif ne servirait « à rien »93. Ici, la principale autorité citée est une affaire concernant la réglementation de l’énergie, la décision de 1994 de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mobil Oil Canada Ltd c Canada Newfoundland Offshore Petroleum Board94. Bien qu’il y ait eu une violation des règles d’équité procédurale, la remise n’était pas appropriée étant donné que la question de fond dans la procédure avait déjà été résolue par un jugement sur une demande reconventionnelle dans la même procédure.

En effet, l’affaire Lukács suggère un autre exemple. Que se passerait-il si, lors d’une remise d’une affaire au décideur administratif, l’Office lui refusait à nouveau le droit de porter plainte, et que cela aussi faisait l’objet d’un recours au motif que cette décision était également déraisonnable, bien que de nature différente? La majorité Vavilov laisse fortement entendre qu’une cour de révision ultérieure pourrait dans ces circonstances se mettre légitimement à la place du décideur administratif. Les appels à la déférence et au respect de la décision du décideur administratif en tant qu’instrument réglementaire

[…] ne saurait donner lieu à un va-et-vient interminable de contrôles judiciaires et de nouveaux examens95.

Parmi les autres facteurs pertinents pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la cour de révision sur la question de savoir s’il faut renvoyer l’affaire au décideur administratif, la majorité énumère ce qui suit :

Les préoccupations concernant les délais, l’équité envers les parties, le besoin urgent de régler le différend, la nature du régime de réglementation donné, la possibilité réelle ou non pour le décideur administratif de se pencher sur la question en litige, les coûts pour les parties et l’utilisation efficace des ressources publiques […]96.

L’arrêt du juge Stratas, pour la Cour d’appel fédérale, dans l’affaire D’Errico c Canada (ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences)97, citée avec l’approbation de la majorité dans l’affaire Vavilov98, fournit un bon exemple d’une affaire dans laquelle certaines des considérations énumérées ont été prises en compte. L’enjeu était une demande de contrôle judiciaire d’une décision de refus d’une pension d’invalidité. Pour justifier le fait de ne pas renvoyer une décision déraisonnable au décideur administratif, mais de se mettre plutôt à sa place d’ordonner le versement de la pension, le juge Stratas a pris en compte les considérations suivantes :

  1. Dans ce qui devait être un processus de décision rapide, la demande de pension avait été faite six ans auparavant;
  2. Si l’affaire devait être renvoyée et que la nouvelle décision devait ensuite faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire, deux années supplémentaires risquaient de s’écouler;
  3. La pension en question était destinée à traiter des affections très graves et revêtait une importance vitale pour les personnes admissibles; et
  4. Le dossier présenté à la Cour pour la demande de contrôle judiciaire était suffisant pour permettre à la Cour de parvenir à une conclusion sur le fond99.

LA SAGA DU PIPELINE TRANS MOUNTAIN – LE DÉBUT DE LA FIN?

A) INTRODUCTION

Au moment où cette publication allait « être mis sous presse », le 4 février, la Cour d’appel fédérale a rendu son jugement dans l’affaire Coldwater Indian Band c Canada (Attorney General)100. Il s’agissait de la demande de contrôle judiciaire dans laquelle divers groupes autochtones avaient obtenu l’autorisation de contester, pour des motifs limités, la décision de réexamen du gouverneur en conseil approuvant la construction du projet d’extension du pipeline Trans Mountain. En rejetant la demande de contrôle judiciaire, une formation de la Cour d’appel fédérale, composée du juge en chef Noël et des juges Pelletier et Laskin, a estimé que l’ordonnance révisée approuvant le projet avait, en ce qui concerne la question de fond spécifique (par opposition à la question de réparation) sur laquelle l’autorisation de demander un contrôle judiciaire avait été accordée, satisfait aux normes de caractère raisonnable énoncées dans l’arrêt Vavilov. En accordant l’autorisation de faire appel101, le juge d’appel Stratas a formulé cette question comme suit :

[L]es consultations des peuples autochtones et des Premières nations était-elle adéquate en droit de telle sorte qu’elles permettent de palier les lacunes des consultations initiales qui sont résumées aux paragraphes 557 à 563 des motifs de l’arrêt [Nation] Tsleil-Waututh [c Canada (Procureur général)102]?103

Une grande partie du jugement consiste en une évaluation minutieuse du processus suivi par la Couronne et l’Office national de l’énergie de l’époque en réponse au renvoi de l’affaire pour réexamen par la Cour d’appel fédérale. Dans cet exercice, la Cour a accordé une attention particulière aux raisons que le gouverneur en conseil a fournies pour son décret final.

Étant donné la nature intensive de cette demande de contrôle judiciaire et le fait que cet arrêt sort strictement du cadre de mon mandat d’examen des développements de 2019, je n’ai pas l’intention de consacrer beaucoup de temps à l’analyse complète de cet arrêt très important. Toutefois, comme il s’agit de l’une des premières demandes en application de Vavilov, le principal objet de cette revue annuelle, je me permettrai de commenter cet aspect de l’affaire. Mais avant cela, revenons sur deux questions découlant de la demande d’autorisation d’appel du jugement et sur l’une des requêtes interlocutoires qui ont fait partie du vaste exercice de gestion des affaires qui a servi de toile de fond à l’audience de trois jours en décembre de la demande de contrôle judiciaire.

B) PARTIALITÉ

Plusieurs demandeurs, en demandant l’autorisation de demander un contrôle judiciaire de la décision et de l’ordonnance de réexamen, ont soulevé des questions de conflit d’intérêts et de partialité. À la suite de la décision d’approbation initiale, le gouvernement du Canada a, par l’intermédiaire d’une société, acheté Trans Mountain. Dans ces circonstances, on a soutenu que le gouverneur en conseil ferait face à un conflit d’intérêts et serait soumis à une crainte raisonnable de partialité en réentendant l’affaire par rapport aux lacunes identifiées par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Tsleil-Waututh104.

Dans le contexte de la demande d’autorisation d’appel et du critère visant à déterminer s’il y avait une affaire « pouvant raisonnablement être défendue »105 pour ces motifs, le juge d’appel Stratas a qualifié la demande en affirmant qu’elle « était entachée d’une lacune fatale »106. Le décideur, le gouverneur en conseil, est une entité distincte du gouvernement du Canada et n’est pas propriétaire du projet. Étant donné que l’achat de Trans Mountain et la structure des modalités de propriété du gouvernement ont été réalisés par une série de décrets107, cet argument présente des faiblesses évidentes. En revanche, la justification108 ultérieure du juge d’appel Stratas fondée sur une autorisation prévue par la loi est beaucoup plus plausible. En supposant que le gouverneur en conseil dispose d’une base légale ou d’une prérogative pour approuver les projets de pipelines et l’achat d’un pipeline, en l’absence d’un argument constitutionnel, les principes de common law en matière de partialité et de conflit d’intérêts doivent céder le pas. Comme l’a déclaré le juge d’appel Stratas, la loi prévaut sur la common law.

Il est également pertinent que le juge Stratas ait reconnu109 que tout manquement important de la part du gouverneur en conseil, dans des circonstances telles que celle-ci, à respecter les exigences de consultation et d’accommodement pourrait, avec quelques preuves, donner lieu à des préoccupations juridiques légitimes. Le gouverneur en conseil a-t-il en fait été détourné de ses responsabilités de s’engager, au nom de la Couronne, dans une consultation et un accommodement de bonne foi par le fait qu’il était propriétaire du projet qui faisait l’objet de l’examen? Toutefois, dans le cadre de cette demande d’autorisation de pourvoi, il n’y avait pas un « début de preuve »110 pour soutenir une telle affirmation.

En effet, bien que la question de la partialité n’ait pas fait l’objet d’une autorisation d’appel, la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Coldwater Indian Band a néanmoins indiqué son accord avec cet aspect de l’arrêt Stratas :

[R]ien ne permet de croire que la décision du gouverneur en conseil repose sur la participation du Canada au projet et non sur la conviction véritable du gouverneur en conseil que le projet était dans l’intérêt public. Bien que, en fin de compte, l’évaluation qui a été faite ait pu profiter à la Couronne en tant que propriétaire du projet, rien ne permet de croire que le gouverneur en conseil ait perdu l’intérêt public de vue tout au long du processus111.

C) RAPIDITÉ DES DEMANDES EN CONTRÔLE JUDICIAIRE DES PROCESSUS D’APPROBATION DE PROJETS

Dans deux éditions précédentes de cette revue annuelle112, j’ai critiqué la Cour d’appel fédérale pour son exclusion de tout accès au contrôle judiciaire du processus d’approbation de l’Office national de l’énergie dans le cas d’un pipeline où le décideur final est le gouverneur en conseil113. Cette interdiction totale de contrôle judiciaire de l’Office a été expliquée sur plusieurs bases : les droits ne sont pas affectés au stade de l’Office; le rapport de l’Office n’est pas justiciable; les lacunes au niveau de l’Office peuvent être corrigées à l’étape du gouverneur en conseil; le régime législatif justifie le fait que toute contestation par voie de contrôle judiciaire devrait attendre la décision finale du gouverneur en conseil114.

Il n’est pas étonnant que dans le contexte de la demande d’autorisation d’appel dans Coldwater Indian Band115, et d’une demande distincte de contrôle judiciaire déposée par l’une des Premières nations concernées en réponse aux conditions restrictives auxquelles l’autorisation d’appel avait été accordée116, le juge Stratas, siégeant seul dans les deux cas, ait doublé la mise de la Cour d’appel fédérale sur cette question.

Dans le jugement d’autorisation d’appel, il a décrit le processus d’approbation des projets dans la Loi sur l’Office national de l’énergie comme étant « un code complet »117. Il a ensuite continué :

Pendant le déroulement de ce processus, il est interdit d’ester en justice. À la fin du processus seulement, une fois que le gouverneur en conseil a pris sa décision, est-il éventuellement possible d’intenter un recours118.

Pour cette déclaration, il a cité le précédent fondamental, Gitxaala Nation c Canada119, dans lequel lui et le juge d’appel Dawson avaient rendu le jugement majoritaire conjoint de la Cour d’appel fédérale, ainsi que l’arrêt Tsleil-Waututh.120

Par la suite, dans la deuxième affaire, il a estimé que la demande de contrôle judiciaire subséquente de la Nation Gitxaala constituait une violation des termes de l’ordonnance rendue dans la demande d’autorisation d’appel. Dans ce contexte, citant à nouveau les deux mêmes décisions121, il a rejeté les arguments de la Nation selon lesquels les lacunes des processus de l’Office national de l’énergie devraient pouvoir être remédiées par une demande immédiate de contrôle judiciaire; ce contrôle ne devrait pas avoir à attendre la décision du gouverneur en conseil à la fin du processus :

La Cour a examiné et rejeté cet argument plusieurs fois, car le régime législatif ne permet pas une série de contrôles judiciaires fragmentés. Les affaires relevant de régimes législatifs différents ne sont donc pas pertinentes122.

Dans un blogue sur cette deuxième affaire123, les professeurs Wright, Olszynski et Bankes reconnaissent que cet aspect du jugement était inévitable et qu’à ce stade, le seul moyen réaliste de renverser la position de la Cour d’appel fédérale serait de faire appel dans une affaire appropriée devant la Cour suprême du Canada. Toutefois, ils poursuivent en se demandant si la règle elle-même était fondée sur une mauvaise interprétation ou une mauvaise application des précédents de la Cour d’appel fédérale.

Je ne me prononcerai pas sur le bien-fondé de l’affirmation concernant les précédents. Mon point de vue reste le même qu’il a toujours été. En ce qui concerne les principes généraux du contrôle judiciaire canadien, il n’y a plus d’interdiction absolue de déposer des demandes de contrôle judiciaire à l’égard de rapports non contraignants124. Toutefois, dans le cadre de leur pouvoir discrétionnaire de réparation, les tribunaux devraient généralement considérer ces demandes de contrôle judiciaire comme prématurées en raison du risque de perturbation des processus administratifs et de la probabilité que toute lacune puisse être corrigée à des stades ultérieurs du processus. Dans le cadre de ce régime, l’intervention à mi-parcours devrait relever de l’exception.

À mon avis, ce régime est suffisant pour répondre à la plupart, sinon à toutes les préoccupations qui ont animé la Cour d’appel fédérale. Plus généralement, je dirais qu’il est préférable de laisser une certaine marge de manœuvre pour les cas exceptionnels que de créer une nouvelle catégorie d’actions gouvernementales non justiciables. Je mets également en doute la proposition selon laquelle la position de la Cour découle automatiquement des termes de la législation pertinente et de la classification de ces dispositions comme un code complet prévu par la législation. Le message législatif peut être lu de manière un peu moins draconienne, les préoccupations relatives à la perturbation étant considérées comme amplement prises en compte en lisant dans les parties pertinentes de la législation une approbation implicite des principes de la common law en matière de pouvoir discrétionnaire correctif.

D) L’OBLIGATION DE CONSULTER ET, LE CAS ÉCHÉANT, D’ACCOMMODER — NORME DE CONTRÔLE

Dans le jugement de la Cour suprême sur l’obligation fondamentale de consulter, Nation Haïda c Colombie-Britannique (ministre des forêts)125, la juge en chef McLachlin a abordé la question des normes de contrôle. Après avoir accepté que sur des questions de droit pures telles que « [l]l’existence et l’étendue de l’obligation de consulter ou d’accommoder sont des questions de droit » pour lesquelles s’applique la norme de contrôle de la décision correcte126, elle a poursuivi en indiquant que les personnes engagées dans le processus avaient droit à la déférence sous la forme d’un contrôle de la décision raisonnable en ce qui concerne les éléments d’appréciation factuelle de l’exercice127. Par la suite, dans un paragraphe séparé, la juge en chef de la Cour suprême a décidé de considérer le « processus lui-même »128. Il a lui aussi été évalué selon la norme de la « décision raisonnable »129. Elle a poursuivi :

Ce qui est requis, ce n’est pas une mesure parfaite, mais une mesure raisonnable130.

Cette discussion sur la norme de contrôle soulève au moins une question. De toute évidence, dans le premier paragraphe, la juge en chef McLachlin discute de la norme à appliquer au contrôle des décisions prises par les autorités statutaires et accepte des normes de contrôle différentes pour les décisions portant sur des questions de droit et des questions de fait. Toutefois, il se peut qu’au deuxième paragraphe, l’accent soit modifié. Dans ce contexte, il se peut qu’elle ne déploie pas le caractère raisonnable au sens d’une norme de contrôle à appliquer à l’examen des motifs de décision fournis par un décideur administratif. Au contraire, dans le contexte du processus suivi par le décideur, le caractère raisonnable devient un motif de contrôle par opposition à une norme permettant de mesurer les raisons du décideur. Indépendamment des motifs du décideur, le cas échéant pour suivre un certain processus, la tâche de la cour de révision est de déterminer par référence à son propre contexte si le processus est substantiellement raisonnable.

On pourrait se demander : quelle différence cela fait-il? Et, peut-être, dans un sens pratique, cela ne fait pas de différence. Toutefois, pour le contrôle judiciaire des organismes de réglementation de l’énergie qui sont engagés dans l’évaluation de la question de savoir si l’État a respecté ses obligations de consultation et d’accommodement, la question peut avoir une certaine pertinence. Lors de l’examen de la décision d’un tel organisme sur le respect des obligations de l’État, le point central pour la cour de révision, en particulier après l’arrêt Vavilov, doit-il être d’évaluer si les motifs de l’organisme de réglementation quant à l’adéquation de la consultation et de l’accommodement ont satisfait au critère ou à la norme de la décision raisonnable? Ou bien, le tribunal doit-il déterminer lui-même, de manière indépendante si la norme de décision correcte est atteinte, si le processus de consultation et d’accommodement répond à la norme de la décision raisonnable? Je me permets de suggérer qu’il pourrait s’agir de tâches très différentes et, en ce qui concerne les règles de procédure de la cour, traitées de manière assez différente. Par exemple, la première approche pourrait être celle qui se limite généralement au procès-verbal de la procédure en cours d’examen, tandis que la seconde pourrait permettre d’introduire facilement des éléments et une argumentation supplémentaires.

En accordant l’autorisation de faire appel dans l’affaire Coldwater Indian Band131, le juge d’appel Stratas a ajouté un avenant à la question principale sur laquelle l’autorisation a été accordée. En abordant la question de savoir si le défaut de la procédure précédente avait été remédié, les parties devraient « inclure des observations sur la norme de contrôle, la marge d’appréciation ou la marge de manœuvre qui s’applique en droit »132. Par la suite, dans l’un de ses jugements interlocutoires en tant que gestionnaire du litige, il a en fait évoqué cette même question en suggérant « certaines des questions qui pourraient être utilement explorées »133 dans le cadre de cet avenant.

[L]e gouverneur en conseil a affirmé, dans son décret, avoir examiné la question de la consultation avant de conclure que le Canada s’était acquitté de son obligation de consulter. Il s’agit d’une décision prise par un décideur administratif. Habituellement, ces décisions sont assujetties à la norme de contrôle [de la décision raisonnable] […]134

[…]

Les questions précédentes sont-elles dépourvues de pertinence, car le respect de l’obligation de consulter, sous réserve d’une certaine latitude, est impératif, et ce peu importe si le gouverneur en conseil croit ou non qu’il y a été satisfait?135

Dans son arrêt Coldwater Indian Band136, la Cour a en effet répondu à cette invitation et a fourni une réponse définitive : après Vavilov, le point de mire pour la conduite de l’examen devrait être les motifs du gouverneur en conseil :

L’existence et la portée de l’obligation de consulter ne sont pas en jeu en l’espèce. Toutes les parties conviennent que cette obligation entraînait la tenue de consultation approfondies. La principale question à trancher est de savoir, compte tenu de la portée requise des consultations, si le gouverneur en conseil pouvait raisonnablement conclure que les lacunes mises au jour […] avaint été corrigés de façon adéquate par la nouvelle ronde de consultations. Cette question est restreinte et dépend avant tout de l’évaluation par le gouverneur en conseil du caractère adéquat des consultations qui ont eu lieu lors de la seconde ronde. Pareille évaluation est largement tributaire des faits et appelle la déférence137.

En effet, dans deux autres paragraphes138, la Cour a continué à souligner qu’elle « doit se concentrer sur le caractère raisonnable de la décision du gouverneur en conseil ». La Cour a également exprimé son exaspération face à la manière dont les requérants ont abordé l’instance :

Dès le début de l’instance, on a demandé deux fois aux demanderesses de se concentrer sur la décision du gouverneur en conseil et sur la norme de contrôle […] Elles ont plutôt décidé d’insister sur le bien-fondé de la décision139.

On peut donc supposer sans risque que la Cour d’appel fédérale considère le contrôle judiciaire des évaluations des décideurs administratifs sur le caractère adéquat de la consultation et de l’accommodement des peuples autochtones comme étant soumis à la norme de contrôle de la décision raisonnable. En outre, à la suite de l’arrêt Vavilov, l’examen doit se concentrer sur les raisons fournies par le décideur administratif. Cependant, il est probable que lorsque le décideur n’a pas abordé spécifiquement la question de l’adéquation de la consultation et de l’accommodement de la Couronne (en raison d’une supervision ou d’un manque d’autorité pour le faire), les cours de révision s’engageront dans une évaluation indépendante ou de novo du « caractère raisonnable » non pas de la décision, mais de l’étendue de la consultation et de l’accommodement.

 

* Professeur émérite, Faculté de droit, Queen’s University.

  1. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65. [Vavilov] (Un autre étude sur l’impact de Vavilov doit paraître dans fte Advocates’ Quarterly. Cette étude porte sur les sujets qui n’ont pas été traités).
  2. Bell Canada c Canada (Procureur général), 2019 CSC 66 [Bell].
  3. Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir].
  4. Voir l’autorisation de porter la cause en appel dans Canada (Citoyenneté et immigration) c Vavilov, 2018 CarswellNet 2127 et 2018 CarswellNet 2128.
  5. Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs postaux, 2019 CSC 67 [Postes Canada].
  6. Coldwater Indian Band c Canada (Procureur général), 2020 CAF 34 [Coldwater].
  7. Loi sur la citoyenneté, RCS 1985, c C-29, aux para 22.1 à 22.4.
  8.  Supra note 2. (Cela étant, je reste perplexe quant au fait qu’il n’y avait pas d’organisme de réglementation de l’énergie ni de représentants du secteur de l’énergie parmi les nombreux intervenants qui ont participé à ces deux affaires. Étant donné l’impact de l’arrêt Vavilov sur les normes de contrôle dans le cadre des recours statutaires, on peut maintenant regretter la décision de ne pas demander de droits de participation.)
  9.  Voir, par exemple, Paul Daly, « fte Vavilov Framework and the Future of Canadian Administrative Law », 15 janvier 2020, SSRN et en s’appuyant sur des évaluations antérieures de Vavilov publiées sur son blogue Administrative Law Matters, et aussi Shaun Fluker, « Vavilov on Standard of Review in Canadian Administrative Law », 6 février 2020, en ligne : Ablawg <http://ablawg.ca/wp-content/uploads/2020/02/Blog_SCF_Vavilov.pdf>.
  10. Supra note 1 aux para 36-52.
  11. Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 [Housen].
  12.  Voir, par exemple, Alberta Utilities Commission Act, SA, c A-37.2, arts 29(1) and (2); Responsible Energy Development Act, SA, c R-17.3, arts 45(1) et (2); Loi sur la Commission de l’énergie de l’Ontario, 1998, SO 1998, c 15, Annexe B, art 33(2) (ne nécessitant pas d’autorisation); Utility and Review Board Act, SNS 1992, c 11, art 30(1) (ne nécessitant pas d’autorisation); et la Loi sur la régie canadienne de l’énergie, SC 2019, c 28, arts 72(1) and (2).
  13. Nigel Bankes, « Statutory Appeal Rights in Relation to Administrative Decision-Maker Now Attract an Appellate Standard of Review: A Possible Legislative Response », 3 janvier 2020, en ligne: Ablawg <http://ablawg.ca/wp-content/uploads/2020/01/Blog_NB_Vavilov.pdf>.
  14. Supra note 2.
  15. Supra note 13.
  16. Supra note 1 aux para 65-68.
  17. Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F -7.
  18. Supra note 2 au para 4.
  19. Ibid au para 33.
  20. Ibid.
  21. Supra note 3 au para 59.
  22. Loi sur la Commission de l’énergie et des services publics, SNB, c E-9.18, art 52(1), créant un droit absolu à la révision judiciaire. En revanche, les demandes de contrôle judiciaire des décisions de la Régie de l’énergie du Québec sont limitées aux questions de compétence : Loi sur la Régie de l’énergie, SQ, c R -6.01.
  23. Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, LC 2019, c 18, art 188(1). Voir aussi l’article 70, respecting applications for judicial review of the decisions of the Tribunal d’indemnisation en matière de pipeline.
  24. Supra note 1 aux para 10, 23.
  25. Ibid au para 58.
  26. Ibid aux para 17, 53.
  27. Ibid au para 244.
  28. Ibid au para 61.
  29. Ibid au para 84.
  30. Ibid au para 100.
  31. Supra note 3 au para 47.
  32. Supra note 1 aux para 92, 114.
  33. Ibid aux para 98, 128.
  34. Ibid au para 94.
  35. Ibid au para 137.
  36. Ibid au para 93.
  37. Ibid au para 86.
  38. Ibid au para 99ss.
  39. Ibid au para 13.
  40. Ibid au para 89, citant entre autres l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 59.
  41. Supra note 1 au para 90.
  42. Ibid.
  43. Ibid au para 93.
  44. Ibid au para 101.
  45. Ibid au para 105.
  46. Ibid au para 103.
  47. Ibid au para 101
  48. Ibid au para 282.
  49. Ibid aux par 65-68.
  50. Ibid aux para 71-72.
  51. Ibid au para 109.
  52. Ibid.
  53. Ibid.
  54. Ibid au para 285.
  55. Ibid au para 109.
  56. Ibid au para 110
  57.  Nadon JA dans l’affaire Bell Canada c 7265921 Canada Ltd (dba Gusto TV), 2018 CAF 174, au para 194-196.
  58. Supra note 1 au para 115ss.
  59. Ibid au para 120.
  60.  Par exemple, ibid aux para 133-135, sous le titre « L’incidence de la décision sur l’individu visé », la majorité prescrit-elle que les cours de révision examinent beaucoup plus attentivement ou fassent preuve de moins de déférence pour les décisions administratives lorsque les intérêts en jeu apparaissent importants pour les cours de révision?
  61. Ibid au para 132.
  62. Ibid au para 131.
  63. Ibid au para 132.
  64. Ibid au para 131.
  65. Supra note 5.
  66. Canadian Union of Postal Workers c Canada Post Corporation, 2017 CAF 153.
  67. Supra note 5 au para 28ss.
  68.  Outre ceux mentionnés dans le texte, R c Myers, 2019 CSC 18, Bessette c British Columbia (Attorney General), 2019 CSC 31, et R c Penunsi, 2019 CSC 39, tous impliquent un contrôle judiciaire de procédures pénales sommaires.
  69. Canada (Sécurité publique et protection civile) c Chhina, 2019 CSC 29.
  70. Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, SC 2001, c 27.
  71. Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F -7.
  72. R c Bird, 2019 CSC 7.
  73. Code criminel, LRC 1985, c C -46.
  74. R c Consolidated-Maybrun Mines Ltd, [1998] 1 RCS 706.
  75. R c Al Klippert Ltd, [1998] 1 RCS 737.
  76.  Voir Consolidated-Maybrun, supra note 74 au para 45-49.
  77. Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur la Canada (R-U), 1982, c 11.
  78. Supra note 74 au para 49.
  79. Ibid au para 82.
  80. Ibid aux para 83-85.
  81. Ibid au para 83.
  82. Supra note 74 au para 25.
  83. R c Greenbaum, [1993] 1 RCS 674 et R c Sharma, [1993] 1 RCS 650.
  84. Supra note 13.
  85. Vavilov v Canada (Citizenship and Immigration), 2017 FCA 132.
  86. Delta Air Lines Inc c Lukács, 2018 CSC 2.
  87.  David J Mullan, « 2017 Developments in Administrative Law Relevant to Energy Law and Regulation » (2018)   6:1 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie 19-24.
  88. Supra note 86 au para 29.
  89. Ibid au para 28.
  90. Supra note 1 aux para 140-142.
  91. Ibid au para 140, citant Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au para 55.
  92. Ibid au para 142
  93. Ibid.
  94. Mobil Oil Canada Ltd c Canada Newfoundland Offshore Petroleum Board, [1994] 1 SCR 202, aux para 228-230.
  95. Supra note 1 at para 142.
  96. Ibid.
  97. D’Errico c Canada (ministre des Ressources humaines et du Développement des compétences), 2014 CAF 95.
  98. Supra note 1 au para 142.
  99. Supra note 97 aux para 18-20.
  100. Supra note 6.
  101. Raincoast Conservation Foundation c Canada (Procureur général), 2019 CAF 224. Pour des commentaires détaillés sur cet arrêt, voir Nigel Bankes, Martin Olszynski et David Wright, « Federal Court of Appeal Provides Reasons in TMX Leave Applications », 11 septembre 2019, en ligne : Ablawg <http://ablawg.ca/wp-content/uploads/2019/09/Blog_NB_MO_DW_Raincoast.pdf>.
  102. Nation Tsleil-Waututh c Canada (Procureur général), 2018 CAF 153.
  103. Supra note 101 au para 65. Le juge d’appel Stratas a également posé deux autres questions : Y a-t-il « des défenses ou des obstacles à la demande de contrôle judiciaire? » (au para 66), et, éventuellement : « Une réparation devrait-elle être accordée et, dans l’affirmative, quelle réparation et à quelles conditions? » (au para 66).
  104. Supra note 102.
  105. Supra note 101 aux para 14-16.
  106. Ibid au para 33.
  107.  Voir Décrets 2018-0635 (31 mai 2019), 2018-0670 (1 juin 2018) et 2018-0672 (1 juin 2018).
  108. Supra note 101 au para 34, citant Ocean Port Hotel Ltd c Colombie-Britannique (General Manager, Liquor Control and Licensing Branch), 2001 CSC 52.
  109. Ibid au para 35.
  110. Ibid.
  111. Supra note 6 au para 23.
  112.  David J Mullan, « 2016 Developments in Administrative Law Relevant to  Energy Law  and  Regulation »  (2017) 5:1 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie 15 aux pp 29-30; David J Mullan, « 2018 Developments in Administrative Law Relevant to Energy Law and Regulation » (2019) 7:1 Publication trimestrielle sur la règlementation de l’énergie.
  113.  Voir le jugement conjoint des juges d’appel Dawson et Stratas dans l’affaire Gitxaala Nation c Canada, 2016 CAF 187, [2016] 4 RCF 418, et le jugement du juge d’appel Dawson dans l’affaire Tsleil-Waututh Nation v Canada (Procureur général), supra note 102 aux para 170-202.
  114.  Mon bilan de 2018, supra note 112, fournit de la documentation.
  115. Raincoast Conservation Foundation c Canada (procureur général), supra note 101.
  116. Stk’emlupsemc te Secwepemc Nation c Canada (procureur général), 2019 CAF 239 (aussi connu sous l’appellation Ignace c Canada (procureur général).
  117. Supra note 101 au para 10.
  118. Ibid au para 11.
  119. Supra note 113.
  120. Supra note 102.
  121. Supra note 116 au para 36. Voir également la réitération de cette position par le juge Stratas dans son jugement pour un panel de trois juges dans l’affaire Raincoast Conservation Foundation c Canada (Procureur général), 2019 CAF 259, au para 13.
  122. Ibid.
  123. David V Wright, Martin Olszynski, et Nigel Bankes, « TMX Litigation Takes an Unusual Turn at the Federal Court of Appeal », 5 octobre 2019, en ligne : Ablawg <http://ablawg.ca/wp-content/uploads/2019/10/Blog_DW_MO_NB_Ignace.pdf>.
  124.  Voir, par exemple, Alberta Wilderness Assn c Canada (ministre des Pêches et des Océans), [1999] 1 CF 483 (CA).
  125. Haïda c Colombie-Britannique (ministre des forêts), 2004 CSC 73, [2004] 3 RCS 511.
  126. Ibid au para 61.
  127. Ibid.
  128. Ibid au para 62.
  129. Ibid.
  130. Ibid.
  131. Supra note 101.
  132. Ibid au para 65.
  133. Stk’emlupsemc te Secwepemc Nation c Canada (procureur général), 2019 CAF 266, au para 13.
  134. Ibid au para 15.
  135. Ibid au para 18.
  136. Supra note 6.
  137. Ibid au para 16.
  138. Ibid aux para 29, 79.
  139. Ibid au para 80.

 

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